Égalité professionnelle : où en est la France en 2025 ?
Plus de dix ans après les premières lois contraignantes sur l'égalité salariale, où en est réellement la France ? Entre progrès indéniables et inégalités persistantes, nous dressons un bilan nuancé de la situation actuelle.
Des avancées législatives significatives
Depuis 2010, la France a considérablement renforcé son arsenal législatif en matière d'égalité professionnelle. La loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a marqué un tournant, suivie en 2018 par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui a instauré l'index de l'égalité professionnelle, obligeant les entreprises de plus de 50 salariés à publier annuellement leurs résultats.
Ces mesures ont produit des effets tangibles. Selon les dernières données du ministère du Travail, l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes à temps complet s'est réduit, passant de 18,5% en 2015 à 13,2% en 2025. Un progrès notable, même si le chemin vers l'égalité salariale complète reste long.
Le plafond de verre persiste
Malgré ces avancées, le plafond de verre demeure une réalité tenace dans les entreprises françaises. Les femmes représentent aujourd'hui 46% des cadres, mais seulement 22% des cadres dirigeants et 18% des membres de comités exécutifs dans les entreprises du CAC 40.
Marie Deschamps, directrice générale adjointe d'un grand groupe industriel, témoigne : "J'ai mis vingt ans à accéder à ce poste. J'ai dû prouver ma valeur à chaque étape, souvent plus que mes collègues masculins. Les réunions stratégiques étaient programmées tôt le matin ou tard le soir, comme si la conciliation vie professionnelle-vie familiale ne concernait que les femmes."
Cette question de la conciliation reste au cœur des inégalités professionnelles. Les femmes continuent d'assumer l'essentiel des tâches domestiques et familiales. Elles sont trois fois plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel, souvent par contrainte plutôt que par choix, ce qui pénalise leur carrière et leurs revenus à long terme.
Les secteurs en retard
Certains secteurs accusent un retard particulièrement marqué. La tech et l'ingénierie peinent toujours à attirer et retenir les talents féminins. Dans le secteur numérique, les femmes ne représentent que 28% des effectifs, un chiffre qui stagne depuis plusieurs années.
Clara Rousseau, ingénieure en cybersécurité, raconte son expérience : "Dans mon entreprise, nous sommes trois femmes pour une équipe de vingt personnes. Les remarques sexistes sont rares aujourd'hui, mais le sentiment d'être toujours en représentation, de devoir prouver qu'une femme peut être aussi compétente qu'un homme dans ce domaine, reste épuisant."
À l'inverse, certains secteurs traditionnellement masculins font des efforts notables pour féminiser leurs effectifs. Le secteur du BTP, par exemple, a lancé plusieurs initiatives pour attirer les femmes, avec un succès encore modeste mais encourageant : la part des femmes dans les métiers du bâtiment est passée de 9% à 14% en cinq ans.
La maternité, encore un frein
La maternité continue d'être un moment critique dans la carrière des femmes. Une étude récente de l'INSEE montre que le salaire des mères diminue en moyenne de 25% dans les cinq années suivant la naissance d'un enfant, tandis que celui des pères augmente de 5% sur la même période.
"Quand je suis revenue de mon congé maternité, j'ai découvert qu'un de mes projets majeurs avait été confié à un collègue. On m'a expliqué qu'on voulait me ménager, mais en réalité, on doutait de mon engagement", confie Sophie Moreau, chef de projet dans une société de conseil.
Pour contrer ces discriminations, certaines entreprises ont mis en place des programmes de mentorat et de suivi personnalisé des femmes au retour de leur congé maternité. Les résultats sont prometteurs, mais ces initiatives restent trop rares et souvent concentrées dans les grandes entreprises.
Le rôle crucial des politiques d'entreprise
Les entreprises les plus avancées en matière d'égalité professionnelle partagent plusieurs caractéristiques : un engagement fort de la direction, des objectifs chiffrés et publics, une politique de transparence salariale, et des mesures concrètes comme le télétravail ou les horaires flexibles.
L'entreprise TechFrance, spécialisée dans les solutions logicielles, a ainsi réussi à porter la part des femmes dans ses effectifs de 15% à 40% en cinq ans. "Nous avons commencé par revoir nos annonces d'emploi pour les rendre plus inclusives, puis nous avons systématisé la mixité des jurys de recrutement et mis en place un système de parrainage pour les nouvelles recrues féminines", explique son directeur des ressources humaines.
Ces exemples montrent qu'il est possible de progresser rapidement quand la volonté politique et managériale existe. Mais ils révèlent aussi l'ampleur du travail qui reste à accomplir pour généraliser ces bonnes pratiques.
La question des stéréotypes de genre
Au-delà des mesures concrètes, c'est toute la culture d'entreprise qui doit évoluer. Les stéréotypes de genre continuent d'influencer les parcours professionnels dès l'orientation scolaire. Les filières scientifiques et techniques restent largement masculines, tandis que les métiers du soin et de l'éducation demeurent majoritairement féminins.
"On ne peut pas atteindre l'égalité professionnelle sans s'attaquer aux représentations sociales qui assignent certains métiers aux femmes et d'autres aux hommes", souligne Catherine Lemoine, sociologue spécialiste des questions de genre au travail. "Cela passe par l'éducation dès le plus jeune âge, mais aussi par une transformation des modèles véhiculés dans les médias et la publicité."
Les hommes, acteurs du changement
L'égalité professionnelle ne se fera pas sans l'implication des hommes. La question du congé paternité, allongé en 2021 à 28 jours, est révélatrice. Si de plus en plus de pères le prennent, beaucoup craignent encore d'être pénalisés dans leur carrière, reproduisant ainsi les discriminations que subissent les femmes.
"J'ai pris mes quatre semaines de congé paternité et je ne le regrette pas, même si j'ai senti une certaine réprobation dans mon équipe", témoigne Julien Dupont, commercial dans une PME. "Mais si nous voulons vraiment l'égalité, il faut que les hommes prennent leur part dans l'éducation des enfants et les tâches domestiques. C'est indissociable."
Perspectives : vers une égalité réelle ?
Au rythme actuel, combien de temps faudra-t-il pour atteindre une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans le monde du travail ? Les économistes avancent des estimations variant entre vingt et cinquante ans, selon les secteurs et les indicateurs retenus.
Pour accélérer le mouvement, plusieurs leviers peuvent être actionnés : renforcement des sanctions contre les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations en matière d'égalité, généralisation de la transparence salariale, développement massif des modes de garde d'enfants, rééquilibrage du congé parental entre les deux parents, et lutte contre les stéréotypes dès l'école.
L'égalité professionnelle n'est pas qu'une question de justice sociale. C'est aussi un enjeu économique. De nombreuses études montrent que les entreprises les plus diverses et les plus inclusives sont aussi les plus performantes et les plus innovantes. Un argument qui pourrait convaincre les plus réticents.
Conclusion : un combat qui avance
La situation de l'égalité professionnelle en France en 2025 peut être qualifiée d'ambivalente. Les progrès réalisés au cours de la dernière décennie sont réels et doivent être salués. Mais les inégalités structurelles demeurent importantes, et certaines évolutions semblent stagner.
Ce qui est certain, c'est que rien n'avance sans volonté politique, sans implication des entreprises, et sans changement des mentalités. L'égalité professionnelle est un combat de longue haleine qui nécessite la mobilisation de tous les acteurs de la société. Les femmes que nous avons rencontrées restent optimistes : elles constatent des évolutions positives et sont déterminées à poursuivre le combat pour que leurs filles et leurs fils grandissent dans un monde véritablement égalitaire.
À propos de l'auteure : Amélie Martin est journaliste spécialisée dans les questions sociales et l'égalité femmes-hommes. Elle enquête sur ces sujets depuis plus de 12 ans pour Nouvelle Horizon Média.